Parce que chaque famille est différente, parce que chaque parent est particulier, parce que chaque enfant est exceptionnel. Parce que tous les choix et les modes de vie sont possibles, je vous partage ceux des autres à travers des témoignages.
Emilie et Clément font partie des personnes que l’on croise quotidiennement sans toujours prendre le temps d’échanger. Cette rencontre autour de l’interview (qui a duré plusieurs heures 😉) nous a permis de mieux nous connaître et de partager nos expériences et points de vue. J’ai beaucoup apprécié avoir ce temps avec eux, j’espère que vous prendrez autant de plaisir à les lire.
C’est à vous de vous présenter pour commencer !
E : Emilie, 37 ans, j’habite une maison en ville en quartier périphérique. J’ai quitté Marseille en espérant trouver mieux, faute d’habiter à la campagne dans une plus grande maison ou une yourte. J’ai monté une association (Pulse) il y a maintenant 6 ans pour faire de l’éducation à la sexualité. Je suis éducatrice spécialisée de formation, mais plus en poste depuis 7 ans pour monter ce projet, avec une autre personne formée à l’éducation populaire. On s’adressait initialement à des adultes mais maintenant on s’adresse à des parents et enfants, en groupe de 3 à 5 ans et de 6 à 9 ans. On propose des débats publics, ateliers parents-enfants et adultes. Mon planning est donc fluctuant selon les rencontres projets, ateliers… Depuis ce mois-ci je suis salariée sur une enquête conscientisante (c’est un outil qui permet aux enquêtés et aux enquêteurs de remettre en cause leur point de vue et prendre conscience des situations et des leviers d’action, dont les causes sont souvent collectives et structurelles) en lien avec les centres sociaux, pour répondre aux besoins des gens en ce qui concerne leur propre santé sexuelle et l’accompagnement des enfants dans la construction de leur sexualité. Dans l’idée, l’objectif c’est de faire de la transformation sociale à partir de l’éducation à la sexualité, donc autant s’adresser directement aux enfants. J’ai pas mal d’activités à côté en tant qu’administratrice du centre social, et je fais de la danse africaine. J’ai 2 enfants : Yuna qui a presque 4 ans et demi, Esbenne qui en a 2 et demi, et je suis enceinte du troisième qui a 4 mois et demi de vie intra-intérine.
C : Clément, 36 ans, je suis ingénieur en informatique, nous avons emménagé ensemble avec Emilie il y a 1 an et demi. Je bosse en horaires de bureau du lundi au vendredi. J’ai aménagé mes horaires de travail depuis septembre dernier pour ne plus travailler le mercredi, et depuis que Emilie est enceinte je fais des pauses plus courtes le midi pour finir plus tôt et être plus présent en fin de journée avec les enfants. J’ai un fils, Simon, qui va avoir 7 ans en septembre, qui est en garde alterné depuis 3 ans, je l’ai avec moi 1 semaine sur 2. Et j’attend le second avec Emilie.
Comment imaginiez-vous votre vie d’adulte lorsque vous étiez plus jeune ?
E : Plus jeune, je m’imaginais professionnellement mais pas du tout à faire ce que je fais actuellement : je voulais être prof de math en classe spécialisée, je voulais bosser dans le handicap et c’est ce qui m’a amené vers l’éducation spécialisée. Je sais que je disais que je ne voulais pas mourir avant d’avoir vécu la grossesse et l’accouchement, je voulais savoir ce que c’était.
C : Etant enfant je ne me souviens pas comment je m’imaginais adulte, je ne suis pas quelqu’un qui se projette beaucoup. J’ai certainement imaginé que je serais papa mais sans représentation particulière, j’ai suivi les choses qui se présentaient sans avoir de plans très précis de ce que serait ma vie d’adulte.
E : Moi je vivais à la campagne, dans un village de 450 habitants mais je n’ai pas souffert de l’isolement. Je faisais partie, comme tous les jeunes de la commune, d’une association de théâtre avec qui on passait une bonne partie de nos week-ends d’adolescents. Mais j’étais contente d’avoir fait mes études à Rennes et de quitter ma campagne, je ne me voyais pas m’installer sur la ferme de mes parents ou à 10km de chez eux comme beaucoup. J’ai toujours voulu faire le tour du monde alors je ne me voyais pas m’installer quelque part. C’est assez paradoxal parce que je rêvais d’une maison avec un jardin et en même temps je rêve de bouger ou de vivre dans une yourte…
Quels parents imaginiez-vous être, avant de le devenir ?
E : Je ne me souviens pas d’avoir imaginé ma parentalité avant, je sais que pour nous (avec Edem le père des filles), j’avais besoin de faire une place très rapidement à l’enfant qui était là, et l’haptonomie était une évidence. Je me disais « Je sais faire », sans savoir ce que je savais faire, mais ça a été aussi une évidence, avec des grosses angoisses « mais est-ce que je vais savoir faire ». C’est encore le paradoxe. Je devais certainement l’imaginer aussi comme mes postures professionnelles : accompagner les gens sans faire à leur place. J’ai l’impression que j’ai vécu un peu les choses au présent, je n’ai pas l’impression d’avoir anticipé des choses, je voulais faire avec, en fonction d’eux, sans connaitre le sexe pour ne pas genrer, c’était important pour moi. Il n’y a que pour l’accouchement à domicile ou l’haptonomie qu’il a fallu anticiper mais pour le reste on a pris les choses comme elles venaient. Ce que j’avais anticipé c’est la différence entre couple conjugal et couple parental. Pour moi c’était assez clair que ce n’était pas le même engagement de vivre ensemble que de faire des enfants ensemble. Pour moi c’était 2 engagements distincts, parce que le fait d’être parents ensemble tu ne peux pas le remettre en question, une fois que les enfants sont là tu es parent pour toute la vie à 2. Je ne savais même pas si j’avais envie de vivre à 2, quelle forme ça pouvait prendre et quel type d’engagement ça pouvait être. Je n’avais pas forcément anticipé qu’on serait plus que 2 à être parents…
C : pour ça non plus je ne me suis pas trop projetté, quand Zoé (la mère de Simon) était enceinte. Je savais que je serais là mais je ne savais pas encore comment.
Et maintenant, quels parents êtes-vous ?
E : Pour moi devenir parent c’était rencontrer l’enfant et laisser faire les choses tout en étant là pour répondre aux besoins. Avec Edem, on s’est penché dès la première année sur les bouquins d’éducation positive (Filliozat, etc.), et je crois que ça nous a aidé dans certaines étapes de vie quand on s’est retrouvé face à des difficultés, notamment quand le laisser faire ne fonctionnait pas. A un moment, Yuna voulait toujours autre chose que ce qu’on lui proposait, mais elle ne savait plus elle-même ce qu’elle voulait et cela partait dans des crises énormes au moment des repas ou du coucher. Je ne sais plus très bien comment on s’est sorti de ça mais on a repensé les choses après avoir vu une vidéo et lu un bouquin et on a repris assurance : en faisant confiance à l’enfant dans ses compétences mais en nous aussi, en reprenant le temps. Laisser faire pour moi ce n’est pas n’importe quoi n’importe comment, c’est important que ça soit dans un cadre, fixé par moi en tant que parent, que j’estime sécurisé et sécurisant pour l’enfant. Dès enceinte pour moi la présence est importante, j’ai besoin de me recentrer sur ce qui se passe et garder du temps aussi pour moi, en terme d’énergie. J’ai des convictions qui sont assez fortes, donc faire avec quelqu’un d’autre ce n’est pas toujours simple, mais en même temps je crois sincèrement que les enfants ne peuvent pas grandir juste avec un seul modèle et une seule façon de faire, que c’est dans la diversité que eux vont se construire en tant qu’individu. Je me souviens qu’après les 11 jours de congé paternité, j’ai pleuré à longueur de journées lorsque Edem est reparti travailler, jusqu’à ce qu’il prenne son congé parental de 2 jours par semaine qui a fait énormément de bien. Moi l’instinct maternel je n’y crois pas du tout, c’est juste que ce sont nous les mères qui sommes cantonnées à la maison pendant 2 mois et demi et qui passons le plus de temps avec les enfants, et du coup on a des repères, des sensibilités qui font qu’on perçoit des choses.

E : Je pense que j’ai construit ma parentalité au fur et à mesure avec les enfants. J’ai l’impression de m’être adaptée petit à petit : avec Yuna on sortait encore en concert ou autre, et on n’avait pas le sentiment d’adapter nos heures de repas ou de couché. Avec Esbenne on a passé une étape, on a réalisé que ce n’était pas pareil. Finalement je me suis trouvée en difficulté à l’arrivée de la deuxième et pas à l’arrivée de la première, même si conceptuellement je savais que ça changerais des choses mais je ne l’avais pas imaginé comme ça. Ça m’a plus perturbé, il a fallu que je me remette dans les mêmes dispositions pour retrouver confiance en moi. Avec Simon c’est encore différent vu qu’il est plus grand. J’ai l’impression d’avoir construit avec mes enfants, mais avec Simon qui a des choses déjà ancrées c’est plus compliqué, ça heurte parfois mes valeurs et moi je ne sais pas faire avec des enfants qui ont déjà un fonctionnement, et sur des étapes de vie que je ne connais pas.
C : pendant la petite enfance de Simon j’étais un papa très investi, très présent, à postériori je me dis peut-être un peu trop. J’essayais de l’accompagner, notamment quand il a commencé à marcher je faisais en sorte de le suivre, voir ce qu’il proposait. J’ai été beaucoup au parc, à jouer avec lui. J’étais tellement à son rythme que parfois ça a compliqué les choses lorsqu’il y avait des contraintes à respecter, ça a posé pas mal de questions. J’étais très proche de lui, très protecteur, et sa maman avait l’impression de ne pas avoir de place, ce qui n’a pas facilité nos relations. J’étais beaucoup guidé par lui, peut-être un peu trop guidé par du plaisir immédiat sans me projeter. Emilie faisait peut-être plus avec, et moi je faisais pour. Je m’adaptais à ses envies et son plaisir, quitte à m’oublier un peu.
E : quand on a commencé à vivre ensemble, j’ai dit à Clément que je ne voulais pas qu’on arrête de vivre des choses tous les 2 quand Simon était là, j’avais l’impression qu’il n’y avait plus de place pour personne.
C : c’est vrai que quand on a mis en place la garde alternée, j’avais en gros une semaine pour moi et une semaine pour Simon. Quand on s’est mis ensemble avec Emilie, il y a avait aussi les filles, il fallait fonctionner à 5 et même quand Simon n’était pas là je ne pouvais pas me consacrer à mes affaires à moi. Il nous a fallu un temps d’adaptation autant à Simon qu’à moi, pour passer d’une semaine où on était que tous les 2, où on jouait beaucoup ensemble, à un temps à 5 où je ne suis pas autant disponible pour lui.
E : et puis on voulait aussi passer du temps ensemble et ça c’était uniquement quand les enfants étaient couchés, tu ne pouvais plus te consacrer aux taches ménagères comme quand tu étais seul, il a fallu revoir tous nos fonctionnements pour s’y retrouver. Ça s’est un peu nivelé maintenant. Tu faisais aussi beaucoup pour lui, comme mettre la table ou mettre son linge au sale, alors que moi je ne conçois pas qu’on fasse à sa place lorsqu’il est en mesure de la faire. Pour Simon ça a été un peu compliqué de se retrouver face à des responsabilités d’un coup, comme de changer de nourriture aussi…
C : il a toujours tendance à dire « « Ho non » mais finalement il goute et il finit par manger, surtout qu’il n’est pas vraiment difficile. Mais ça reste sa première question quand je vais le chercher, ce qu’on va manger : Il y a beaucoup d’enjeux autour de la nourriture.
E : En termes de valeurs partagées, je pense que c’est le cadre, la sécurité, l’amour bien sûr, et puis aussi de ne pas baigner les enfants dans une espèce d’illusion que le monde est facile. Il ne s’agit pas de leur dire que le monde c’est de la m*, mais déjà leur faire comprendre que parfois je suis fatiguée, même si je crois à la bienveillance, des fois je leur crie dessus parce que j’ai des limites, que je suis fatiguée… Apprendre à faire avec ce qu’on est. L’autonomie c’est un point auquel j’avais réfléchi aussi : Yuna a dormi sur un matelas au sol dès toute petite, il n’y a avait pas de barrière à l’escalier, il n’y avait rien de sécurisé à la maison. On a eu de la chance d’avoir Yuna en premier qui n’était pas téméraire, avec Esbenne il a fallu être plus vigilants. Mais permettre en étant accompagné pour moi a plus de sens que d’interdire, parce qu’interdire mais jusqu’à quand, pourquoi interdire ce jour là et pas le jour suivant, comme si d’un seul coup ils pouvaient acquérir la possibilité de ne plus avoir cet interdit. Du coup on a fait avec la maison telle qu’elle était, on s’est adapté à ça et on leur a donné accès à des jeux d’imitation pour faire comme nous, les associer au quotidien pour qu’ils percutent les contraintes de la vie et prennent leur place là-dedans sans que ce soit à nous de leur inculquer des choses. Du coup mes enfants ne disent pas souvent « merci » ou « s’il te plait » par exemple. La notion de gros mots me questionne beaucoup aussi, je préfère leur dire qu’il y a certains mots qu’on dit dans certaines circonstances et dans certains endroits, et je préfère qu’elles aient envie de dire merci et s’il te plait sincèrement plutôt qu’elles répondent à des conventions sociales. Ce sont des choses qui m’interrogent même si parfois cela fait bizarre quand elles demandent sans mettre la forme, mais c’est aussi le revers de la médaille…
Que pouvez-vous dire de votre vie de couple aujourd’hui ?
C : ce n’est pas évident de construire notre couple conjugal au milieu des enfants, de trouver du temps. Sous l’impulsion d’Emilie notamment on essaie de trouver du temps pour nous dans notre organisation : on fait en sorte de coucher les enfants assez tôt pour avoir notre soirée à nous. Ils ne dorment pas forcément mais globalement les couchers sont terminés à 20h. On essaye de les faire garder aussi pour avoir des activités à 2. Au début, lorsqu’Edem n’était pas encore parti au Togo, les filles passaient 4 jours chez lui, et Simon ne venant qu’une semaine sur 2 ça nous permettait de réajuster. Ces temps étaient importants mais on n’en a pas profité tellement pour le plaisir. On a encore 7 semaines de vacances scolaires pour nous 2 où les enfants sont chacun chez leur autre parent, jusqu’à l’arrivée du prochain !
E : c’est vrai qu’au tout début on a profité de ces jours seuls pour se poser et profiter, mais très rapidement on a utilisé ces temps pour réguler notre fonctionnement. Parce qu’on a des enfants, mais surtout parce qu’ils ont des parents différents, et ça a pris beaucoup de place pour réajuster les façons de faire différentes qu’on pouvait avoir. Moi j’élabore beaucoup et Clément étant plus dans le faire on avait du mal à trouver nos bases d’échanges. On se fait aider par un thérapeute de couple pour se recentrer aussi sur nous et pas que sur la famille, et pour réajuster la place des parents qui ne vivent pas avec nous. Il y a des calendriers à mettre en place, il faut s’organiser, et les sorties sont moins spontanées. On a l’impression de devoir en profiter à tout prix à ce moment là parce qu’il est organisé mais ce n’est pas toujours le moment où on aurait envie de sortir.
Que diriez-vous des relations au sein de la fratrie, originelle et recomposée ?
C : c’est vrai que je me retrouvais avec 3 enfants et en même temps avec ces questions de places pour chacun, Simon se retrouvant avec des petites sœurs déjà grandes, sans avoir le temps de grandir ensemble et de créer des relations comme avec l’arrivée d’un bébé. Ce changement de situation sans transition, Simon a pu le vivre un peu comme une arrivée de concurrence, et moi j’avais cette peur là que ça soit dur pour lui. Par moment j’ai pu ne pas laisser la place aussi. Maintenant Yuna ayant grandi et étant capable de respecter des règles, comme Simon savait déjà le faire, ils jouent plus ensemble, sans demander la présence d’un adulte. Pour Esbenne c’est encore un peu compliqué, elle ne peut pas toujours les suivre et ils n’ont pas toujours envie.
E : du coup elle nous sollicite beaucoup plus aussi, on passe plus de temps avec elle et ça lui permet d’avoir du temps avec nous, ce qui équilibre les relations. Finalement c’est plus Simon qui n’a pas vraiment de temps privilégié, quand il est là les filles sont très souvent là aussi. Ça va arriver pendant ces vacances-là, quand les filles seront avec leur père. De mon côté, Yuna a très vite investie Esbenne, l’accouchement ayant eu lieu à la maison il n’y a pas eu de coupure, on a été tous les 4 dès la naissance. Même si moi j’ai l’impression de ne pas avoir vu Youna pendant 15 jours, en plus notre situation de couple est devenue très compliquée à peine 8 jours après la naissance. Je ne sais pas ce qu’elle a intériorisé, on s’en rendra compte sans doute avec l’arrivée du prochain… C’est après la séparation que j’ai senti plus de difficultés, de rivalités entre les 2, des enjeux de places, et avec Simon aussi d’ailleurs. Les filles se sont nourries des jeux et des connaissances de Simon, et il s’est nourri de leur imagination. Ce ne sont pas les mêmes jeux quand elles sont 2 que quand ils sont 3.
Et pour vos places à vous auprès des enfants ?
E : les filles n’ont pas été éduquées que par Edem et moi, n’ayant pas de famille à Marseille les amis les ont beaucoup gardées, ce qui leur a permis de donner une place rapidement à Clément et l’investir émotionnellement. Je ne voulais pas que lorsque Simon était là leur relation change totalement, sans que Simon ait le sentiment de perdre sa place auprès de son père non plus. Ça n’a pas été évident pour Clément. J’ai l’impression que tu avais plus peur que Simon, ce qui l’a peut-être empêché un peu de m’investir. Je me souviens d’une fois où tu étais au lit avec une migraine et c’est la première fois que je passais une journée avec Simon sans toi, il n’y avait pas eu cet espace là avant pour démarrer une relation. La peur de Clément que Simon se sente délaissé a été plutôt contre-productif, mais on ne peut pas savoir avant.
C : Avec Esbenne ça a été plus simple qu’avec Yuna car elle n’avait qu’un 1 et demi, puis au niveau du caractère avec Yuna on fonctionne un peu en miroir donc ça complique. Ce que je fais avec les enfants aujourd’hui a pas mal évolué avec eux, et les rencontres. Je crois que j’ai réussi à maintenir la présence et l’implication que je voulais avoir avant, c’est plutôt la façon de faire qui a évolué au fil du temps. Au quotidien on estime tous les 2 avec Emilie pouvoir être des référents pour tous les enfants de la maison. Après ils ont aussi leur histoire avec nous et ils ne nous solliciteront pas de la même manière pour la même chose.
E : Clément propose plus de sorties pour les enfants, ce que moi je ne vais pas faire naturellement. Du coup il y a aussi un équilibre qui s’est fait de ce coté-là. Mais il y a toujours beaucoup de discussions, j’ai l’impression de ne pas avoir bougé mes lignes et ce sont des sujets de frictions et de tensions. Ça peut être difficile pour Clément de s’exprimer parfois, et même si j’ai l’intention de lui laisser la place pour dire les choses ce n’est pas toujours aussi évident que je le voudrais. Il y a eu beaucoup de réflexions et de discussions aussi sur « qui sont les responsables des enfants de cette maison » et qui prends les décisions pour quel enfant. Là-dessus on a à peu près trouvé un équilibre, qui est encore parfois plus théorique que pratique.
Comment vous avez annoncé l’arrivée du petit dernier ?
E : quand nous on a su que j’étais enceinte, c’était important pour nous que les enfants le sachent rapidement. Parce que ça renvoie des signes, il y a des changements corporels et des discussions qui démarrent et j’avais besoin de leur dire. Sachant que Simon n’est avec nous qu’une semaine sur 2, c’était important pour nous de leur dire quand ils étaient là tous les 3, lors d’un repas. Ils ont eu l’air contents, Simon l’a exprimé et a commencé à le dire à tout le monde, le placer dans la conversation « nous on va être 6 bientôt ». Esbenne ne s’est pas vraiment rendu compte, et Yuna se posait des questions techniques sur ce que ça voulait dire que d’avoir un bébé dans le ventre. Du coup on a montré des livres et des images sur comment était le bébé et son développement. Esbenne a été beaucoup dans l’affirmation à ce moment-là, ça a été plus compliqué à l’école, mais qu’est-ce qui est en lien avec l’âge ou la grossesse, on ne sait pas trop. Yuna a refait pipi au lit aussi, alors est-ce qu’elle a fait un rapport entre l’arrivée d’un bébé et la modification relationnelle entre les adultes, je ne sais pas vraiment…
Quels ont été vos choix concernant l’accueil et l’instruction ?
C : à la naissance de Simon, sa mère ne travaillait pas, elle a repris des études par correspondance et elle allait chercher du boulot. Moi je bossais à plein temps donc on a fait une demande de crèche municipale, où il a pu rentrer vers 3-4 mois. Il y allait 2 à 3 jours par semaine et assez vite il est passé à 5 jours semaine. Ça nous convenait bien pour l’aspect socialisation, mixité sociale. Il y a été jusqu’à ses 3 ans et l’entrée à l’école. A ce moment on s’est posé la question des écoles alternatives, je m’intéressais à l’école Freinet ou Montessori par exemple, sans vouloir quelque chose de trop élitiste ou trop cher. Les échos et le coût ou la carte scolaire ne nous permettait pas de la faire. Du coup on l’a mis dans une école à côté de chez nous, publique mais bilingue français-breton : la maitresse parle en breton et certaines activités se passent en breton aussi. Le bilinguisme précoce nous semblait intéressant et ce n’était pas contraignant au niveau organisation donc il y a fait ses 3 ans de maternelle. Entre-temps on s’est séparé avec sa maman mais on a essayé de rester dans le même secteur pour simplifier l’organisation. La question s’est reposée au moment de son entrée en primaire, la dérogation pour l’école Freinet étant possible à partir du CP, et moi m’étant installé avec Emilie un peu plus loin du centre j’ai réévoqué le sujet. A ce moment là la discussion s’est terminée sur le fait qu’il poursuivrait à côté de chez sa mère, qui changeait de voie professionnelle et s’installait en tant qu’assistante maternelle. Pour l’entrée de septembre prochain la question se repose suite à de nouveaux changements professionnels de Zoé et le fonctionnement de sa maitresse actuelle qui ne lui convenait pas vraiment : beaucoup dans la punition et pas tellement dans la bienveillance et dans des choses qui étaient importantes pour moi, comme pour beaucoup de parents. La réaction de l’école a été très longue et très défensive envers le corps enseignant du coup ça ne nous a pas rassuré envers le fonctionnement de l’école. La discussion a encore été compliquée mais aucune solution intermédiaire ne convenait donc pour l’instant il va continuer à l’école où il est actuellement, tout en s’assurant qu’il change de maitresse qui faisait la classe de CP/CE1
E : quand Yuna est arrivée, la question du congé parental s’est vite posée pour son papa. On a fait des demandes en crèche à Marseille, mais si les 2 parents n’ont pas de contrat de travail la place n’est pas conservée, du coup Yuna n’a pas eu de place tout de suite. Elle a pu y aller en septembre, étant née en janvier finalement c’était le bon timing pour elle et pour nous. Elle a commencé à 2 jours pour finir à 5 progressivement vers ses 2 ans. C’était une crèche associative au sein de la friche belle de mai dans un quartier populaire de Marseille. C’était une crèche qui valorisait la mixité sociale et culturelle, et c’est un aspect qui nous convenait bien. Pour moi la collectivité était importante, je ne voulais pas de place en assistante maternelle pour leur permettre d’avoir une vie sociale en dehors de nous. Même si depuis je reviens un peu sur le fait que cette collectivité n’est pas forcément bénéfique si tôt. Pour Esbenne, arrivée en novembre, j’avais besoin qu’elle ai une place en mars/avril pour reprendre le boulot et ça ne s’est pas fait à ce moment là. Ça a commencé à 4 jours en juin et pour moi c’était tard. On voulait garder un jour pour nous où Edem a pu se consacrer à des projets plus personnels. Moi j’étais malade donc je n’ai pas pu reprendre mes activités autant que je l’aurais souhaité.
Pour la scolarité c’était très compliqué pour moi, les écoles à Marseille ne correspondaient pas vraiment à mes valeurs. J’ai une posture un peu extrémiste et pas très tolérante envers le système éducation nationale que je juge malveillante. Les enfants dès leur naissance apprennent seuls : pour marcher, parler, personne ne leur apprend comment faire. Je ne comprends pas qu’à un moment donné on leur dise : « maintenant tu vas t’assoir et je vais te dire comment apprendre et ce qu’il faut apprendre à ce moment là de ta vie ». Pour moi ça ne va pas avec ce à quoi je crois. Et en même temps, j’ai réfléchi à l’instruction en famille et ça n’allait pas non plus avec mon besoin d’avoir une vie d’adulte et mes propres activités. Je me suis renseignée auprès des écoles démocratiques mais le problème c’est que c’est extrêmement cher et ça n’allait pas avec mon niveau de vie et mes valeurs de mixité socio-économique. Le compromis que j’ai trouvé c’est l’école Diwan parce qu’ils proposaient des classes multi-niveaux, ils travaillent par projets et en classe peu nombreuses, en plus du côté bilingue. Ça me semble important ce bilinguisme parce que leur papa comprend le dialecte Mina que parle son père mais ne le parle pas lui-même, et j’aimerais qu’elles puissent avoir accès à la culture dans laquelle leur papa a baigné. Mais je ne pense pas les maintenir après la maternelle parce que ça reste quand même un fonctionnement qui se rapproche de l’éducation nationale.
Qu’est-ce qui, pour vous, est le plus difficile et le plus agréable dans votre parentalité ?
C : je ne m’étais jamais vraiment posé la question comme ça… Ce que je trouve le plus difficile, c’est peut-être les ajustements continuels, trouver la bonne place en fonction du moment. Quand Simon était bébé, j’avais l’impression de chercher des réponses à des problèmes qui n’existaient plus, et je ne sais pas si ça marchait parce que j’avais trouvé ou si c’est parce qu’il avait dépassé ce problème. Beaucoup de questions et d’ajustements, trouver les bonnes distances pour leur laisser de l’espace et être présent. Je peux avoir cette difficulté là entre être directif et les laisser faire seul. J’ai appris sur le tas comment gérer des enfants différents et de plusieurs âges. Le plus agréable c’est de les voir grandir et grandir avec eux, les voir évoluer. C’est aussi ce qui génère des difficultés, mais quand on prend un peu de distance, les voir se développer, jouer ensemble, c’est vraiment chouette.
E : pour moi le plus difficile c’est trouver l’équilibre entre mes besoins et leurs besoins, le cadre que j’ai envie de leur donner. J’ai consacré du temps à mes grossesses, mais j’ai besoin de passer à autre chose aussi. Ce que je leur donne comme cadre j’y passe beaucoup de temps, et ça peut être générateur de tensions si on ne prend pas le temps. Du coup c’est très chronophage et énergivore, et trouver ma place là-dedans ce n’est pas toujours évident. Si mon activité pro n’a pas pris plus de place c’est sans doute à cause de ça, et sans le regretter j’aurais aimé y consacrer plus de temps. Et en même temps ce que je préfère c’est ce cadre que je leur ai donné, c’est très paradoxal encore. Je ne regrette pas du tout ce temps et quand je les vois aujourd’hui vivre des choses je me dis que je n’étais pas complètement à coté de la plaque parce qu’elles sont autonomes, elles savent être en relation. Ce que je trouve chouette c’est qu’elles aient besoin de moi et qu’en même temps elles n’aient pas besoin de moi. Je me demande si j’ai bien fait, mais en même temps ça a l’air d’être relativement juste.
Pour finir, vous auriez 1 à 3 mots pour définir chacun de vos enfants ?
E : Esbenne je dirais autonome et grande, dans le côté positif et en même temps, où est sa petite enfance ? Pour Yuna je dirais complexe, et frontale ! Pour Simon je dirais fin, dans le sens de perspicace.
C : pour Yuna complexe je pense que c’est pas mal, je rajouterais que c’est quelqu’un qui cherche toujours à comprendre le pourquoi du comment, comment ça fonctionne et que ça soit cohérent. Pour Esbenne il y a autre chose dans la joie, la légèreté. Pour Simon je dirais curieux, avec un côté un peu butineur.
Merci à Emilie et Clément et rendez-vous dans quelques mois pour des nouvelles après l’arrivée du prochain ! 👶
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