Je n’ai perdu personne, j’ai perdu mes rêves…

Je suis en deuil de nos projets, tous ceux que l’on prépare depuis 2 ans : une vie simple, où nous sommes libres de voyager, de découvrir le monde, d’aller à la rencontre de ce qui nous entoure et des personnes qui vivent autrement. Vivre tout cela avec nos enfants pour leur montrer que tout est possible, qu’ils pourront choisir leur vie et que ce sera réalisable s’ils s’en donnent les moyens. L’instruction en famille dans ce projet était évident, c’était une ouverture vers l’autre, une découverte du monde, une rencontre nouvelle à chaque fois, un horizon des possibles qui allait leur ouvrir l’esprit, la curiosité, l’envie d’apprendre et de vivre.
Aujourd’hui ce n’est plus rien : peut-être bientôt illégal, l‘instruction en famille dans le confinement c’est juste un quotidien qu’on partage, entre nous. C’est de la gestion de conflit, de la médiation, de l’apprentissage pour exprimer ses émotions dans le respect de l’autre. Mais c’est beaucoup moins charmant, enthousiasmant, vibrant et vivant que ce que nous avions prévu. Par contre c’est bruyant et épuisant… C’est tout de même mieux que de les laisser à l’école avec le protocole actuel, mais c’est un choix par défaut puisqu’il n’y a pas d’autre choix. Et il risque d’y en avoir de moins de moins.
Je ne veux pas vous déprimer avec mes pensées défaitistes. Je fais mon deuil et je suis dans la phase de dépression (selon les étapes du deuil en psychologie), je ne vois pas d’issue, là, maintenant. J’ai passé le déni et la colère, je suis dans l’impasse. Tout est remis en question, et pourtant je ne peux pas me résigner à rentrer dans ce moule qu’on veut nous imposer. Je SAIS qu’il ne me convient pas, j’ai déjà essayé. Je ne serais plus moi-même si je m’y engouffre. Et pourtant ce serait si simple : reprendre un boulot pour avoir des revenus fixes, reprendre un logement, remettre les enfants à l’école. Avec ça on serait tranquille, on pourrait faire nos courses le samedi et sortir le dimanche, attendre les vacances pour voyager. Ce serait plus cher mais on aurait des aides de l’Etat puisque nos enfants iraient à l’école et que nous serions de bons travailleurs. L’Etat nous aiderait à maintenir cet équilibre, à ne pas avoir le temps de penser à autre chose, à ne pas rêver d’autre chose puisque nous aurions tout le confort nécessaire à notre survie. Et pour la vie on verra après. La retraite peut-être, si on a réussi à mettre de l’argent de côté parce qu’elle risque de ne pas être bien élevée.
Je ne veux pas de cette vie. Je n’en veux pas et je me bats pour ne pas me laisser emporter dans cette voie toute tracée.
Je ne peux pas me résoudre à vivre et élever mes enfants dans une société qui ne vit que pour son économie. Je ne peux pas leur faire croire que la vie c’est se lever pour aller travailler, obéir, rentrer pour se coucher, et attendre le lendemain pour recommencer. Je ne peux pas continuer à m’enthousiasmer en sachant qu’il n’y a aucune alternative possible, que tout est déjà prévu, de la naissance à la retraite, si celle-ci arrive. Métro-école/boulot-dodo, ce n’est plus un cauchemar, c’est le seul avenir possible dans ce qui se prépare aujourd’hui. Il n’y a plus d’alternatives.

Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec l’éducation et ce que Isabelle Filliozat rapporte, en s’appuyant sur les neurosciences :
« Quand l’enfant obéit à un ordre, son cerveau frontal reste inactif. Quand vous le faites réfléchir, quand vous lui offrez des choix et lui laissez de l’espace de décision personnelle vous lui proposez de mobiliser son cerveau frontal, celui qui permet de décider, penser, anticiper, prévoir et par conséquent de devenir responsable. »
En gros : moins on nous laisse de choix, moins on est capable d’en faire. Plus on nous apprend à obéir tôt, mieux on saura le faire plus tard.
Cette vision d’une société où les enfants doivent apprendre à obéir le plus tôt possible, mais pas trop à réfléchir, critiquer, remettre en question ou inventer des solutions, ça me fait extrêmement peur… Je panique même complètement à l’idée que la société dans laquelle nous vivons avec nos enfants est en train de chercher à limiter leur capacité à penser par eux-mêmes, à être différents, à choisir une autre route que celle qui est la plus courante. Je veux qu’ils aient toujours le choix, même si celui-ci est limité ou surveillé, mais c’est toujours mieux que l’absence totale de choix légal. Je parle d’instruction, mais je parle aussi de consommation, de relations, de lieu de vie, de travail ou de rêves. Je ne veux pas que leurs rêves soient limités, et je veux leur conserver cette possibilité de les réaliser. Qu’ils rêvent de vivre dans une grande maison ou de partir en voyage en sac à dos, ce seront LEURS rêves, ni les miens, ni ceux de gouvernants qui, eux, FONT DES CHOIX selon leurs propres intérêts, sans consulter les principaux intéressés, sans s’inspirer de ceux qui ont une autre expérience ou de ceux qui ont une expertise. Ils font des choix et veulent nous les imposer, sans nous laisser aucune autre issue que de nous mettre dans l’illégalité, en nous menaçant d’amendes, d’emprisonnement ou de signalement, en nous traitant d’extrémistes, d’égoïstes ou de marginaux si l’on vient à les contredire.
Mais je commence à douter sérieusement de la légitimité des lois qui passent actuellement : si la loi n’a plus de sens, si les lois sont fondés sur des valeurs qui sont contraires au sens moral, si elles ne servent qu’à interdire, manipuler, surveiller, contrôler, et non plus à faciliter le vivre ensemble dans le respect des libertés individuelles, je peux les refuser.
C’est mon droit, en tant qu’être humain.
Cette idée ne me réjouit pas, je ne cherche pas à devenir une rebelle, une révolté ou une révolutionnaire, mais je refuse de devenir un robot au service d’un gouvernement, quel qu’il soit. Jamais.
Heureusement, après la phase de dépression vient l’acceptation, étape qui permet la reconstruction, qui redonne de l’énergie et la capacité à aller de l’avant, à organiser sa vie en fonction de la perte. J’attends cette phase, qui me lance des perches de temps en temps, mais qui n’est pas encore tout à fait là. Je dois passer pas cette phase et la vivre jusqu’au bout pour enfin pouvoir passer à autre chose, encore. Réadapter une nouvelle fois nos projets au monde d’après, aux possibilités et aux limites qui se dessinent. Il faut être patient, laisser passer le temps et rebondir, encore une fois… Mais à force, rebondir ça donne le tournis, non ?

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