éducation, pédagogie, société, temoignage

Prof, un boulot de rêve ?

Allez, je suis sûre que certains d’entre vous l’ont pensé : bosser 18h par semaine en ayant les vacances scolaires, resservir tous les ans les mêmes cours puisés dans les ressources Internet (il y en a tellement qu’il suffit de se servir, non ?). Allez, avouez, moi-même il m’est arrivé de me demander pourquoi ils se plaignaient, pourquoi certains semblaient blasés ou changeaient carrément de métier. Aujourd’hui je comprends… Je vous explique un peu comment c’est de l’intérieur ?

1- 18h par semaine, et avec les vacances scolaires !

C’est vrai que de l’extérieur, 18h de cours pour un temps plein, ça semble presque indécent. Mais ce à quoi on ne pense pas quand on n’y est pas, c’est que pour donner ces 18h de classe, il faut avoir des cours à proposer, des leçons et des exercices, des évaluations à préparer et ensuite à corriger. Parce que prendre un cours sur Internet, car oui il en existe tout un tas, pour le resservir tel quel à une classe de collégiens, ce n’est pas viable. Pourquoi ? Parce que déjà il faut savoir de quoi on parle, comment on va en parler, et se préparer à répondre aux questions (surtout celles qu’on n’avait pas prévues). Et imaginez 25 adolescents face à vous qui profitent de chaque temps mort, chaque moment d’hésitation, chaque faille, pour vous remettre en question, pour se déconcentrer ou poursuivre leur conversation commencée pendant la récré. 30 secondes ça va vite, très vite dans leur tête d’ado, et ça peut sembler une éternité quand on ne sait pas de quoi on parle… Donc oui, ce temps de préparation est INDISPENSABLE.

Des vacances il y en a heureusement, pour décrocher un peu, mais aussi souvent pour travailler à cette préparation, parce que les heures « libres » de la semaine sont rarement suffisantes. Alors oui, il en faut des heures pour préparer des cours, les rendre cohérents et vivants, et les évaluer, surtout qu’en général on n’a pas un seul niveau, donc pas un seul programme à suivre, et surtout pas un seul élève…

Et je vous passe les examens, les semaines à thèmes qu’il faut préparer, les sorties qu’il faut organiser (de la fiche action à la réservation du transport, en passant par le budget), parce que tout ça, moi, je n’ai pas trouvé le temps de m’en occuper cette année…

2- Elèves, enfants, adolescents

En tant qu’éducatrice, j’ai eu à faire à des enfants, des adolescents, des parents, mais toujours dans un cadre protégé : des petits groupes, du temps à consacrer à chacun, de l’individuel, du suivi, des relais. Se retrouver face à 4 classes dans la semaine, soit jusqu’à 100 adolescents dans la journée, ce n’est pas la même chose. Je crois avoir souvent entendu que cet aspect là ne fait pas rêver beaucoup de monde, et pour cause 😂! Alors oui, individuellement ils peuvent être touchants, marrants, pertinents, intéressants, surprenants, mais en groupe sur un temps de classe ils perdent souvent la plupart de ces qualités (ou alors ils savent très bien les cacher)… J’exagère, parfois une lumière brille dans un cerveau pas tout à fait endormi et des mots particulièrement pertinents arrivent jusqu’aux quelques oreilles encore présentes, une poignée d’élèves arrivent avec plein d’enthousiasme certains jours, d’autres arrivent à se concentrer 10 minutes d’affilée, et une partie des discussions concernent parfois les cours (si si, je vous assure !).

Je suis un peu sarcastique devant cette horde d’adolescents qui passe pour 75 d’entre eux jusqu’à 5h par semaine avec moi, mais je les aime bien. Je les comprends : leurs priorités sont ailleurs, leurs esprits sont préoccupés, leur envie se limite la plupart du temps à être à un autre endroit qu’une salle de classe, et rien que l’idée de l’effort les fatigue. Et puis ils faut satisfaire les parents, éviter d’être collé, ne pas paraître trop studieux devant les copains, réussir à se rendre intéressant, faire croire qu’on est sûr de soi, ne pas se faire chopper par la prof, essayer d’écouter un mot sur deux, répondre à son voisin qui demande des ciseaux, faire passer le mot à la copine avec qui on vient de se disputer, penser à mettre son téléphone en silencieux, récupérer les cours d’SVT qu’on a loupé, ne pas penser à ce que les parents vont faire quand ils vont voir les mots dans le passeport, recopier sur Machin l’exercice d’anglais dont on n’a rien compris, etc. Et tout ça dans 1h de français !

3- De la passion, et de la patience

Moi je n’ai fait que quelques mois dans cette vie de prof, sans avoir les connaissances suffisantes pour arriver tranquillement en cours sans avoir préparé sérieusement mes supports. J’ai donc dû puiser dans les ressources existantes, me reposer sur mes collègues, faire des recherches, me réapproprier les supports qui me plaisaient, les adapter aux niveaux de mes classes et parfois de quelques élèves en difficultés, me référer au programme, thèmes, séquences, documents, des manuels, aux listes de livres à lire dans l’année… Et puis comme ça n’était sûrement pas assez, je voulais faire des cours un peu innovants, sortir du magistral et du manuel, utiliser toutes sortes d’outils pour qu’ils puissent tous comprendre les notions abordées, les autonomiser et les pousser à réfléchir, etc.

Du coup, quand on met en lien la dizaine d’heure libérée pour la préparation, la motivation toute relative des élèves, et mes envies certainement un peu trop ambitieuses, ça peut difficilement coller sur le long terme. J’ai essayé pourtant, j’ai proposé des séances flexibles, en pédagogie inversée, en tentant de leur donner confiance en eux. Elles ont pu avoir un bref succès auprès de quelques élèves, mais les autres en ont profité pour faire bien d’autres choses que du français. Cette sensation que parfois on a beau avoir donné le maximum sans réussir à obtenir de résultats, ça peut être épuisant et décourageant.

Mais pour en avoir discuté avec certains collègues, c’est le quotidien d’un prof. On commence l’année avec de l’enthousiasme et des envies, et tout cela s’épuise en même temps que les élèves. Sans la passion, on se lasse. Sans la patience, on fuit.

4- Respects !

J’admire d’autant plus maintenant ceux qui font ce métier depuis des années, en suivant les modifications de programmes, les évolutions des générations, les commandes institutionnelles, les attentes et exigences des parents, les périodes de conseils de classe et d’examens, les copies impossibles à lire et les humeurs d’enfants et adolescents en pleine mutation dans un environnement sur lequel ils n’ont que peu de prises. Il faut de être passionné pour sa matière et son métier afin de ne pas s’épuiser, ou la patience nécessaire pour attendre la période de vacances, voir la fin de l’année. Et recommencer, l’année suivante, avec de nouveaux élèves, des niveaux différents, de l’énergie à revendre pour motiver les troupes, suffisamment d’humour pour instaurer un climat agréable et de la constance dans le cadre pour ne pas se laisser déborder.

Vraiment, je vous admire, profs débutants et anciens, pour tenir sur la durée et vouloir enseigner aux générations futures, si peu réceptives soient-elles. Peut-être un jour se rendront-ils compte de ce que vous avez fait pour eux, rien qu’en étant présents chaque jour, en cherchant comment les intéresser, en leur donnant un peu d’espoir avec un mot d’encouragement ou un coup de pied aux fesses (façon de parler bien sûr, on ne les touche pas😆). Ou peut-être auront-ils oublié… Mais vous êtes toujours là, avec un rôle fondamental pour l’avenir, et souvent peu de reconnaissance en retour.

Vous êtes des combattants, des survivants, les héros de certains et le cauchemar des autres, mais vous continuez de donner. Vraiment, respects !

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