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En noir et blanc

Non, ce n’est pas un mauvais jeu de mots sur les couleurs de peaux (qui pourrait être facile vu d’ici), mais plutôt une référence aux sentiments contradictoires qui m’habitent depuis quelques semaines. La vie que nous menons n’est pas rose, ni grise d’ailleurs, elle passe par toute une palette de couleurs, d’un extrême à l’autre parfois. Surtout en ce moment…

En noir…

J’éprouve une forte envie de rester à Pointe-Noire et continuer l’aventure. Parce que la vie ici est douce et agréable. On profite des journées sans se soucier du temps qu’il fera, car même si la pluie nous surprend elle sera balayée par la chaleur qui suivra. J’aime ne pas perdre de temps à chercher comment m’habiller selon la température extérieure, je peux suivre uniquement mes envies du jour et vivre bras nus et pieds à l’air toute l’année. L’équilibre que nous avons trouvé ici nous permet de suivre le rythme du soleil et d’avoir un sommeil plus apaisé, un réveil naturel et une énergie profitable en journée. La nonchalance africaine me convient bien, je n’aime pas le stress, la compétition et la vitesse imposée par les autres. Je continue de rencontrer et de côtoyer des personnes qui m’inspirent, qui m’ouvrent l’esprit, qui me surprennent. J’aime les discussions parfois profondes qui s’engagent avec un chauffeur de taxi le temps d’un trajet, leurs silences respectueux et leurs sourires reconnaissants quand je les remercie et leur souhaite une bonne journée. J’aime la simplicité et la bonhommie des gens d’ici.

Et puis surtout, je savoure toutes les possibilités professionnelles qui s’offrent à moi. J’ai eu la chance en France de travailler 10 ans dans une association où je pouvais mettre en place toutes mes idées, développer des projets et être auprès des populations. C’était une expérience extraordinaire qui m’a construite mais que je ne peux plus retrouver en France. Ici, je peux mettre mon expertise en action, je peux créer ce que je veux si je m’en donne les moyens, il n’y a rien ni personne pour m’en empêcher. Je peux donner des cours d’alphabétisation et enseigner au collège. Je peux être directrice d’une école, gérer une équipe de 30 salariés, prendre la responsabilité du programme pédagogique, tout en suivant la comptabilité et en rédigeant les projets de l’école, développer les partenariats et rassurer les parents. J’adore avoir toutes ces choses à faire, et qu’on me fasse suffisamment confiance pour me donner les clés. En plus je crois que je le fais bien, c’est valorisant et encourageant. Jamais en France on ne m’aurait laissé cette possibilité d’avoir toutes ces responsabilités sans présenter un Master en gestion des entreprises ou je ne sais quel autre diplôme exigeant au moins 5 ans d’études après le bac. Et des idées je n’en manque pas, mon enthousiasme est au maximum face aux perspectives de création sur lesquelles je travaille dans un trio détonnant !

… et blanc

Mais ces dernières semaines je ressens aussi parfois l’envie de partir, repartir d’où je viens. Une sorte de désespoir et de fatigue m’envahit face aux épreuves qui se dressent devant moi et ce que j’ai laissé derrière moi. Faire face à la pauvreté au quotidien et surtout aux inégalités qui règnent dans la pays est une épreuve de chaque jour. Nous faisons partie des privilégiés et pourtant gérer notre budget n’est pas si facile, alors je n’ose pas imaginer ce que c’est pour tous les autres. Je sais que je ne changerai pas un pays et un système, mais vivre au cœur des inégalités et y participer sans pouvoir faire autrement est une lutte permanente contre mes valeurs et mes convictions. Culpabiliser serait inutile et me détruirai, mais faire comme si cela n’existait pas est impossible. Je ne peux que rester fidèle à moi-même dans ma façon de traiter les gens, leur montrer ma reconnaissance et le respect qu’ils méritent, même si je sais que ce n’est jamais suffisant et c’est bien moins que ce qu’ils attendent de moi. Finalement peu de relations sont dénuées d’intérêts, de hiérarchie, d’attentes envers « la blanche privilégiée » par son poste et son salaire. Malheureusement, même sur un poste de direction je ne peux pas rétablir d’équité, je subis toujours et encore la gestion désastreuse du passé, les travailleurs qui attendent d’être payés pour envoyer leurs enfants à l’école, les salariés qui espèrent un renouveau que je ne peux pas leur offrir, les manquements aux obligations légales. J’ai la sensation de ramer sur place et d’écoper sans fin un bateau qui coule, sans pouvoir l’empêcher de toucher le fond. Je m’épuise à essayer d’avancer sans savoir où je vais.

Et puis la question de la santé me taraude : nous n’avons aucune assurance ici, pas les moyens de nous payer des soins de qualité ni un rapatriement sanitaire. Je commence à avoir peur qu’il arrive quelque chose à l’un de nous, surtout aux enfants, sans avoir la possibilité de les soigner correctement. Pour l’instant nous avons eu de la chance, mais combien de temps cela peut-il durer encore ? 6 mois ? 2 ans ? 10 ans ? Et il ne s’agit pas seulement de notre santé à nous, mais aussi de celles de nos proches en France. Ne pas pouvoir être là en cas de besoin, être auprès de ceux qui ont besoin d’aide, adoucir quelque peu des moments difficiles par une visite et répondre présents lorsque c’est nécessaire. Partager des moments de vie simples, du quotidien, retrouver nos échanges avec la légèreté de l’habitude et non dans la pression du temps des vacances d’été passées en coup de vent. Renouer des relations où il n’y a pas de hiérarchie sous-entendue, de demande sous-jacente de partager un privilège que je n’ai pas demandé. Mes amies me manquent, voir nos enfants grandir ensemble, nous retrouver après des mois sans se voir comme si on s’était quittées hier, discuter de tout et de rien autour d’un verre, rire de nos erreurs comme nous encourager dans nos épreuves.

Alors je ne sais pas, je ne peux pas dire combien de temps nous allons encore poursuivre l’aventure, si ça va se compter en mois ou en années. Peut-être que la décision ne viendra pas de nous, peut-être que quelque chose nous ramènera en France plus tôt que prévu, peut-être qu’une porte s’ouvrira ici pour nous donner envie d’y construire quelque chose. Peut-être… En attendant je continue de faire ce que je peux pour rester à la surface, profiter des petites vagues d’espoir pour remonter et entrevoir une issue devant cette étendue océanique.

2 réflexions au sujet de “En noir et blanc”

  1. Belle aventure aux interrogations normales. Peut-être pouvez-vous vous donner une date pour revenir proche des personnes qui pourraient en avoir besoin ?
    Kiss

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